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23 Oct 2012

L’après-2015 Au Burkina Faso: Entre Enjeux Nationaux Et Internationaux

Michel Carton, NORRAG et Boubakar Savadogo, Akilia.

Si le Burkina Faso s’est rapidement aligné sur les objectifs du Millénaire (OMD) et ceux de l’Education pour tous (EPT) en particulier dans le domaine de l’éducation primaire, et a atteint des résultats significatifs d’un point de vue quantitatif, la situation du pays en matière d’éducation et de formation a bien changé depuis l’an 2000. Un Programme de Développement Stratégique de l’Education de Base (PDSEB, 2012-2021) vient d’être adopté en Conseil des Ministres le 1er août dernier, dont la « mise en œuvre permettra au Burkina Faso d’atteindre l’EPT ainsi que les OMD se rapportant à l’éducation à l’horizon 2021 » (p. xii). Ce programme vise à :

i)          Développer le préscolaire pour passer de 3% en 2010 à 11,3% en 2015 et atteindre au moins 25% en 2021.

ii)        Réaliser l’enseignement primaire universel en 2021, dont 75,1% en 2015, avec une équité fille/garçon. L’atteinte de cet objectif se traduira par le développement des moyens nécessaires pour scolariser 3 200 000 élèves en 2015 et 4 180 000 en 2021, contre 2 350 000 élèves en 2011.

iii)      Promouvoir le post-primaire (général et technique formel et non formel) en atteignant un taux de transition de 93,2% en 2015 puis 95% en 2021, et enfin 100% en 2025 : soit 900 000 élèves en 2015 et 1 600 000 en 2021 contre 540 000 en 2011 dans le post primaire général ; environ 330 000 jeunes en 2015 et 200 000 environ en 2021 contre 70 000 en 2011 recevront des qualifications dans le post-primaire technique formel et non formel.

iv)      Accélérer l’alphabétisation et l’éducation non formelle des 9-14 ans et des jeunes et adultes de plus de 15 ans. L’objectif est d’offrir à 900 000 adolescents de 9 à 14 ans hors de tout système éducatif des alternatives éducatives et de faire croître le taux d’alphabétisation de 30% à 75% en 2021, dont 60% en 2015. En matière d’alphabétisation/formation des adultes, le programme devrait toucher plus de 5 millions de personnes.

Ces caractéristiques reflètent implicitement une évaluation des effets, positifs et négatifs, de l’application du Plan Décennal de Développement de l’Education de Base (2001-2010). Ainsi, le taux de scolarisation primaire est passé de 46,7% en 2001 à 79,6% en 2011 – soit une progression moyenne de 3,3 points par an sur la période 2001-2011 – et le taux d’achèvement du primaire est passé de 28% en 2001 à 55,1% en 2011 (pour les garçons comme pour les filles). Mais ces progrès n’ont été accompagnés que d’une amélioration limitée de la qualité : sur 1000 écoliers inscrits en première année du primaire, seuls 248 atteignaient la dernière année du cycle sans redoublement et 174 réussissant l’examen final en 2002, contre 397 dont 262 diplômés en 2010. Cela explique pourquoi l’éducation et la formation non formelles sont désormais favorisées comme des voies optionnelles et non de dernières chances car mieux adaptées aux modes et conditions de vie des populations. Parallèlement aux nouvelles orientations dans l’éducation de base, des pôles de formation technologique d’excellence sont mis en place, sans que soient toutefois abordés les problèmes lancinants de pertinence, d’efficience et d’efficacité dans les universités.

Ces orientations devront être mises en oeuvre simultanément avec la nouvelle Stratégie de Croissance Accélérée et de Développement Durable (SCADD, 2011-2015). Néanmoins, l’on ne sait pas encore comment ces deux politiques vont se renforcer mutuellement ; et si la croissance économique issue de l’exploitation de nouvelles mines va se maintenir et déboucher sur une affectation pertinente et soutenable des nouvelles ressources fiscales attendues. Dans ce contexte, définir des priorités budgétaires globales aussi bien que spécifiques à l’éducation et canaliser l’appui des partenaires du développement vers ces priorités constituera un défi. De plus, le mode de fonctionnement administratif hautement politisé empêche souvent d’assurer la cohérence des politiques et de mettre en œuvre le suivi technique nécessaire à leur mise en œuvre.

Cette situation risque de ne pas s’améliorer à l’approche d’une échéance bien plus importante pour le Burkina que les décisions à prendre au cours des deux prochaines années pour l’après 2015 sous l’influence de l’ « industrie » de l’aide : les élections législatives et municipales du mois de décembre prochain (2012) et l’élection présidentielle de 2015 ! Personne n’est en mesure de dire quels seront les résultats de ces processus politiques, surtout celui de 2015 : il est cependant à craindre que la réalisation des avancées que pourrait permettre le  PSDEB soit en partie conditionnée par ces résultats. Ceci n’empêche pourtant pas des structures comme la Coalition Nationale pour l’Education pour Tous, membre de la Coalition Mondiale pour l’Education, de maintenir la discussion ouverte, ainsi qu’en témoigne le débat récemment diffusé sur la télévision nationale à une heure de grande écoute. La Coalition insiste dans son travail de plaidoyer sur l’urgence d’aborder la situation très difficile de la majorité de la jeunesse. Le problème est que cette urgence est permanente depuis presque 20 ans et que les décideurs en matière économique comme éducative ne l’ont prise en compte que très marginalement jusqu’à maintenant.

Si d’énormes moyens ont été récemment mis à la disposition du Ministère de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi, l’utilisation de ces ressources n’aura pas d’effets immédiatement sensibles sur les activités rémunératrices et l’insertion des jeunes. Ainsi, la redécouverte des potentialités que représentent les secteurs informels urbain et rural ne sera efficace que si elle s’accompagne d’une auto-organisation du secteur par branches, par exemple dans le domaine de la formation par apprentissage. Mais ce processus a pris 20 ans au Mali voisin et se structure progressivement depuis 2002 au Bénin.

Le renforcement du secteur informel passe également par un renforcement des ponts entre l’éducation de base et l’acquisition/le développement de compétences techniques et professionnelles. Or, les structures ministérielles actuelles ne facilitent pas ce dialogue car elles laissent peu d’espace aux acteurs économiques sur qui doivent reposer les dispositifs d’insertion des jeunes par l’activité économique. Le double processus de professionnalisation-insertion ou d’insertion-professionnalisation permettant l’insertion diffère et rompt avec la trilogie traditionnelle éducation-formation-insertion. Dans le premier cas, l’insertion s’opère au début du processus et est associée à la professionnalisation, tandis que dans le second l’insertion se situe à la fin et est dissociée des deux premiers éléments. Dans tous les cas, le double processus ne sera rentable que si le pays réussit à assurer au préalable à ces jeunes une éducation de base de qualité.

Une telle situation fait craindre que la dimension fonctionnelle de l’éducation et de la formation l’emporte sur leurs dimensions sociales et humaines et pose la question plus large de la valeur de l’éducation comme de la formation en tant que biens publics universels. Or, il semble que cette question ne fait guère l’objet de débats ou de réflexions approfondies. Ceci serait pourtant nécessaire dans un contexte où une bonne partie de la jeunesse n’accorde plus grande valeur ni à l’éducation – même si la demande sociale est forte –,   ni au travail – même si une activité génératrice de revenu est indispensable à la survie.

Il y a de fait un fossé entre les représentations de la génération qui réfléchit actuellement, au Nord et au Sud, à l’après 2015 et les réalités d’une jeunesse supposée bénéficier des résultats de ces réflexions. La recherche en éducation devrait permettre de mieux fonder les décisions qui seront prises : sa faiblesse chronique dans la région – que les bailleurs de fonds ne veulent pas voir malgré leurs discours sur les « sociétés du savoir » et les politiques « evidence-based » – ne laisse pas attendre des résultats pertinents. Or ceci  aiderait à mieux contextualiser les nouveaux objectifs et instruments de suivi de l’éducation et de la formation que l’ère post-2015 proposera, apportera, vendra.

La crainte de voir le droit à l’éducation, considérée comme un bien public universel, être oublié pourrait se renforcer si les partenaires du développement faisaient basculer leur appui du secteur de l’éducation de base à celui du développement des compétences, plus porteur en termes d’emploi des jeunes, de contribution à la croissance… Mais ceci ne se produira que si leur contribution se maintient, ce qui n’est pas certain en raison aussi bien des échéances électorales et de l’incertitude politique au Burkina que de la diminution de leurs propres ressources. De plus, la cohérence et la prévisibilité de l’aide n’est pas garantie : si l’Autriche a récemment procédé à l’arrêt de son financement à un centre de formation, Taiwan vient de mettre en place un centre d’excellence visant à former des spécialistes pouvant répondre aux besoins des économies minières du Burkina et de pays voisins. Le même pays finance la construction de plusieurs lycées professionnels dont l’accès est réservé aux titulaires du diplôme de fin de l’éducation de base, mais qui reproduisent des filières déjà saturées ou des filières dans lesquelles il est plus pertinent de former directement en collaboration avec le secteur informel. Aucun appui ne semble par contre se profiler pour transformer les universités et y encourager la recherche – en éducation par exemple.

La situation est donc incertaine et a radicalement changé depuis l’adoption des OMD et de l’EPT en 2000. La question est de savoir si les objectifs internationaux en préparation pour le « développement durable » vont aider le Burkina à affronter les défis éducatifs découlant de son entrée dans l’économie minière globale tout en donnant à la majorité de sa population les connaissances, savoirs et compétences lui permettant de se développer dans les secteurs dominants, ruraux et urbains, de l’économie nationale. Ces questions seront au cœur d’une analyse de l’économie politique de l’après 2015 que  des partenaires nationaux du NORRAG vont entreprendre au Burkina (et dans d’autres pays), afin de mettre les débats sur l’après 2015 – principalement menés au Nord – dans une perspective articulant le global et le national.

Michel Carton, Coordinateur du NORRAG, Geneva. Email: michel.carton@graduateinstitute.ch

Boubakar Savadogo, Directeur Akilia, Ouagadougou, Burkina Faso. Email: bsavadogo@yahoo.fr

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